Petite histoire de partition

 Pour mes élèves, y compris les adultes, la partition de musique qu’ils ont devant les yeux est une évidence universelle et intemporelle. Ils sont en général très surpris lorsque je leur explique que les partitions telles qu’on les pratique actuellement sont finalement assez récentes au regard de l’histoire de la musique et qu’elles ne concernent qu’une infime partie de la musique jouée dans le monde. Voici donc une rapide mise en perspective.

Les partitions dans le monde

 La musique est avant tout un art du temps et de l’instant. Dans la plupart des cultures, elle a une fonction religieuse ou sociale importante. Le musicien est à la fois créateur et interprète anonyme. Il va produire une oeuvre pour une occasion particulière mais celle-ci n’a pas vocation à être reproduite à l’identique. La notation écrite n’a donc pas vraiment de sens dans ce contexte.

 

Bien sûr, partout, la musique s’inscrit dans une tradition : des mélodies, des structures rythmiques, des façons de jouer vont se transmettre mais cette transmission va se faire oralement, sans la rigidité que provoque forcément la notation écrite. La notation musicale telle qu’on la connaît aujourd’hui trouve ses origines en Europe avec le développement de la musique tonale dite “savante”. Dans le reste du monde, beaucoup de traditions musicales restent orales. Certaines musiques traditionnelles sont d’ailleurs quasiment impossibles à retranscrire sur une “partition standard”, tout simplement car elles n’entrent pas dans le système musical tonal qui sous-tend la construction des partitions modernes.

 

C’est la diffusion mondiale de la culture européenne qui nous laisse croire à l’universalité des partitions. Mais en réalité, la musique est bien plus riche que cela !

Les partitions au cours de l’histoire

 Pendant des siècles, la musique s’est transmise oralement, y compris en Europe. Dans les civilisations anciennes, de la Mésopotamie à la Grèce antique, les chants, rythmes et mélodies étaient enseignés de maître à élève, de génération en génération.

 Une des premières notations musicales connue remonte à la Grèce antique. Elle consistait à noter la hauteur des notes et les durées par des lettres de l’alphabet au dessus des syllabes d’un texte.

 

La stèle de Seikilos

C'est l'un des plus anciens exemples  d'une composition musicale complète avec sa notation.

pièce d'archéologie : partition grecque
Stèle portant l’épitaphe de Seikilos, vers la fin du Ier siècle après-Jésus-Christ
détail d'une pièce archéologique. partition grèce antique
Texte de la stèle déployé

 Au Moyen Âge, autour du IXe siècle, un autre système de notation se développe en Occident. Ce sont les neumes, de petits signes placés au-dessus du texte, attachés à une syllabe, qui indiquaient le contour mélodique du chant. Cependant, ces signes n’indiquaient ni la hauteur exacte ni la durée. Ces notations étaient utilisées dans la musique religieuse : le chant grégorien. Elles resteront en usage durant tout le Moyen Âge.

 

Cependant, les neumes évoluent et se transforment au cours des siècles donnant peu à peu naissance à la “notation carrée”

 

Au 9ème ou au 10ème siècle, un moine copiste imagina d’utiliser une ligne de référence représentant un son fixe, servant de référence aux autres notes, réparties dans l’espace, au-dessus et au dessous de cette ligne. C’est l’ancêtre de la portée.

 

Dans les siècles suivants, le nombre de lignes augmente, fluctue pour finalement se fixer à 5 lignes. C’est seulement au 16ème siècle environ que l’on voit apparaître la portée de 5 lignes avec les barres de mesure telles que nous les connaissons aujourd’hui.

L'invention de l'imprimerie musicale va alors uniformiser les notations.

exemple de neumes sur un chant grégorien
Antiphonaire de Hartker : on voit bien les neumes dessinés entre les lignes du texte.

manuscrit de partition de chant grégorien
Puer natus est : les neumes sont positionnés sur des lignes
partition en notes carrées
manuscrit avec une notation carrée.
première partition imprimée
Hamonice Musices Odhecaton : extrait de la toute première partition polyphonique imprimée en 1501

 

À partir du XVe siècle, la partition devient un outil complexe. L’invention de l’imprimerie musicale permet une plus large diffusion de la musique écrite. Les compositeurs commencent à noter avec précision les rythmes, les nuances, les articulations. Les partitions se structurent pour accueillir des œuvres de plus en plus élaborées : messes, madrigaux, suites instrumentales.

 

Durant les siècles suivants, les partitions gagnent en sophistication et en expressivité. Des compositeurs comme Mozart, Beethoven ou Chopin exploitent au maximum les capacités de la notation. Les éditeurs de musique jouent un rôle central dans la diffusion des œuvres, et la partition devient peu à peu un objet commercial et pédagogique.

 

On est passé en quelques siècles d’un simple outil mnémotechnique, à la création d’oeuvres ayant une vie propre indépendante de l’occasion pour laquelle elles furent crées. On est également passé d’un système où interprète et compositeur sont indissociables à un système où le compositeur laisse très peu d’initiative à l’interprète.

ancienne partition époque baroque
Marin Marais : pièce de Viole
manuscrit de Jean Sébastien Bach
Bach : le clavier bien tempéré
manuscrit d'une partition de Chopin
Chopin : ballade n°1

 

Au XXème siècle, avec les musiques contemporaines et expérimentales, la notation musicale se transforme à nouveau. La musique en quart de tons par exemple amène à définir une nouvelle notation musicale. De nouveaux signes de durée sont également créés, ainsi que des signes indiquant la façon de jouer certains instruments afin d’obtenir de nouvelles sonorités.

 

A partir des années 1950, certains artistes refusent d’utiliser les notations conventionnelles, trop normatives et produisent des partitions graphiques, chacun inventant son propre langage. Ces partitions nécessitent souvent l’étude d’un mode d’emploi produit par le compositeur ou bien laissent de la place à l’improvisation de l’interprète : deux interprétations de la même oeuvre peuvent être radicalement différentes !

 

manuscrit d'une partition moderne XXème siècle
Xenakis : Metastasis