
L'apprentissage du piano est souvent associé à l'apprentissage du solfège, ce qui peut rebuter de nombreux aspirants musiciens, tant enfants qu'adultes. Il est évident que si l'on souhaite aborder la "musique savante", l'apprentissage du solfège est fortement recommandé. Vouloir jouer Bach ou Mozart sans connaître les notes et le rythme me paraît difficile. Cependant, souvent, ce qui rebute les débutants, c'est l'apprentissage de "règles" arides et difficiles à retenir et dont ils ne voient pas vraiment l'intérêt. Et cela avant même d'avoir pu prendre le moindre plaisir avec leur instrument.
Pour moi, il existe bien d'autres façons de débuter la musique : développer son oreille par exemple et tâtonner pour retrouver une mélodie ; travailler par imitation et reproduire des gestes et des enchaînements de notes ou d'accords ; utiliser sa mémoire et quelques moyens mnémotechniques simples pour retrouver les différentes parties d'un morceau de musique. Il m'est arrivé de créer des sortes de "cartes mentales" représentant la structure d'un morceau pour aider à sa mémorisation...
On pourrait comparer l'apprentissage de la musique à celui d'une langue. Le solfège serait alors la "grammaire de la musique". La grammaire est bien utile mais il ne viendrait à l'idée de personne de demander à un enfant de maîtriser les règles de grammaire lorsqu'il commence à parler ! Il tâtonne, il babille, ses phrases sont bancales et ses mots mal prononcés et il reçoit des tas d'encouragements qui le poussent à s'exprimer toujours mieux. Pourquoi cela serait-il différent pour les musiciens débutants ? Dans un premier temps, laissons de côté les règles et encourageons l'expression.
Didier Lockwood, jazzman réputé, ne disait pas autre chose :
https://www.musicologie.org/18/m/01030229.pdf
"Les enfants ont envie de jouer de la musique et de l'apprendre en la jouant, comme on apprend le football dans la rue finalement souvent. La musique est un art qui s'apprend par l'oreille et pas par la vue, on n'apprend pas à lire et à écrire à un bébé qui ne sait pas parler
Le plaisir de jouer doit toujours être premier. Ensuite, au fur et à mesure de sa progression, l'élève voit plus facilement l’intérêt d'apprendre les notes, le rythme, toutes les règles plus théoriques. Comparons maintenant le musicien à un acteur. L'acteur n'a a priori pas besoin de savoir lire pour jouer un rôle. Mais savoir lire favorise grandement la rapidité de mémorisation, permet de mémoriser des rôles plus longs et plus complexes, permet d'être autonome... C'est la même chose avec la musique : les élèves, s'ils prennent du plaisir à jouer, s'en rendent assez rapidement compte. Ils veulent être autonomes, ils veulent apprendre tel ou tel morceau qui dépasse leur capacité de mémorisation... Ils voient alors tout l'intérêt de savoir lire une partition. Je ne dirais pas que l'apprentissage se fait ensuite tout seul car, comme tout apprentissage, cela nécessite du travail et des efforts. Mais au moins, cela se fait naturellement et avec un objectif : prendre toujours plus de plaisir à jouer de la musique.
Je voudrais terminer en replaçant la "musique savante" écrite au milieu de toutes les traditions musicales orales que l'on trouve aux quatre coins du monde. La musique écrite n'est qu'une toute petite partie de ce que l'on peut entendre dans le monde. Et lorsque l'on se penche sur l'histoire de la musique, l'écriture musicale telle qu'on la connait actuellement est assez récente.
Et l'on pourrait encore parler de musiques écrites très récentes qui n'utilisent pas le solfège mais d'autres moyens de représentation...
Le solfège n'est donc pas une "norme universelle" mais seulement un moyen de représentation d'un certain type de musique. Il faut donc le considérer à sa juste place : un outil utile et parfois nécessaire pour certaines formes d'expression musicale.